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VOGUE
03-06-2024
VIKTOR & ROLF NOUS RACONTENT LES DESSOUS DE LEUR NOUVELLE EXPOSITION




Viktor & Rolf nous racontent les dessous de leur nouvelle expositionLolita Mang
Pour nous, la mode de Viktor & Rolf est synonyme d'humour et de légèreté. Le duo préfère les mots complexe et contradictoire. Explorer la complexité de l'âme humaine, c'est plutôt ce qui intéresse Rolf Snoeren et Viktor Horsting, fondateurs et directeurs artistiques de la maison à laquelle ils ont donné leurs deux prénoms. Tout au long de leur carrière, longue de 31 ans, ils ont tenté de mêler les mondes de l'art et de la mode, dans des collections toujours spectaculaires, et jamais ennuyeuses. C'est un euphémisme que d'écrire qu'ils y sont toujours parvenus.

Cette année, le duo créatif est mis à l'honneur par le musée Kunsthalle de Munich, à l'occasion d'une exposition qui s'étend jusqu'au 6 octobre 2024. Intitulée Viktor & Rolf : Fashion Statements, elle rend hommage à la collection éponyme de 2019, composée de quelque 18 robes en tulle aux formats démesurés, entre manches bouffantes, jupes à étages, et des couleurs très vives. Vogue s'est entretenu avec Rolf Snoeren et Viktor Horsting afin de revenir sur 30 ans de création commune, entre les deux créateurs de mode néerlandais.

Comment cette nouvelle exposition a-t-elle vu le jour ? 

Rolf Snoeren. Nous avons développé une collaboration continue avec Thierry-Maxime Loriot, le commissaire de cette exposition. C'est la troisième fois que l'on travaille avec lui : d'abord c'était à Melbourne, puis à Rotterdam. C'est lui qui nous a proposé d'exposer à Munich. Nous adorons travailler avec lui. C'est probablement la personne qui connaît le mieux notre travail, en dehors de nous deux ! C'était presque une évidence de nous lancer dans cette nouvelle aventure avec lui. Nous avons pour l'occasion exploré un tout nouveau concept : c'est la première fois que notre œuvre est exposée de manière thématique, avec un vrai travail de conception narrative.

Viktor Horsting. C'était comme une expérience postmoderne pour nous. Revisiter nos propres travaux à travers les yeux d'une tierce personne. Nous avons été très admiratifs du fait qu'il soit allé chercher une entreprise canadienne, Rodeo FX, qui a apporté son lot d'effets visuels à l'exposition, dont un hologramme, des ombres, des vêtements qui prennent vie… Ça a permis d'élever nos pièces d'une nouvelle manière.
Comment la sélection des thèmes qui jalonnent votre travail s'est-elle effectuée ?

Rolf Snoeren. Nous avons fait la sélection avec lui, en essayant de choisir de bons exemples de notre travail à travers les années. Il y a également un côté pratique lié à cette sélection : beaucoup de nos pièces se trouvent dans des collections, et peuvent se révéler compliquées à emprunter. Il a donc fallu plonger dans nos propres archives, et notamment dans les versions miniaturisées de nos collections de haute couture.

Oh, vous parlez des poupées !

Rolf Snoeren. Exactement. Elles constituent une part importante de l'exposition. Pour chaque collection, nous créons des poupées, à partir d'une ou deux silhouettes qui nous semblent être les plus marquantes de la saison, et nous les reproduisons sur des répliques de poupées victoriennes.

Viktor Horsting. La première fois, je me souviens, c'était pour une exposition au Barbican de Londres, en 2008. Nous avions bâti une immense maison de poupées, et très vite, nous nous sommes rendus compte que c'était la meilleure chose que nous avions accomplie. Elle regroupait toutes nos créations à l'époque ! Donc à partir de là, nous avons continué, chaque saison, pour conserver cette collection de poupées à jour.

D'où vient ce besoin de décliner vos créations en version miniature ?

Rolf Snoeren. Évidemment, les poupées sont bien plus petites que les mannequins. Cela demande de reconsidérer les formes de nos vêtements. Mais c'est vrai : nous avons développé un désir fou de tout miniaturiser, pour l'adapter aux poupées. Mais quand je dis tout, c'est tout ! La coiffure, le maquillage, les imprimés, les broderies, les chaussures… La mode est si fugace que, dès qu'une saison se termine, on la jette pour penser à la suivante. En créant ces poupées, nous pouvons continuer de chérir les idées et les créations qui nous ont occupé pendant une saison entière.
La première fois qu'un musée vous a approché, était-ce la confirmation de ce que vous pensiez depuis toujours : que la mode est un art ?

Viktor Horsting. Vous savez, nous avons débuté dans le monde de l'art, et non dans le monde de la mode. Notre première exposition a eu lieu à Paris en 2003, mais nous avions déjà commencé à travailler ensemble depuis une dizaine d'années à ce moment-là ! Nous produisons, en plus de vos vêtements, des œuvres sur la mode, dont des vidéos, des images… Le monde de l'art nous a adopté bien avant le monde de la mode.

Rolf Snoeren. C’est seulement après un certain temps que nous avons voulu nous immiscer dans l'univers de la mode. Nous avons commencé à présenter pendant la semaine de la haute couture, à produire des collections de manière régulière, en nous adaptant aux règles du système de la mode. Mais la liberté d'utiliser la mode en tant que manière de nous exprimer, d'exprimer nos envies artistiques, c'est l'essence de notre travail depuis le tout premier jour.

Avez-vous déjà douté de cette affirmation ?

Rolf Snoeren. En réalité, cela ne nous semble pas être une affirmation aussi forte et puissante. Pour nous, il n'y a pas de distinction entre l'art et la mode, c'est tout. Nous ne voulons pas choisir entre les deux propositions. Ce n'est pas pour dire que tout ce qui se fait dans la mode peut être élevé au rang d'œuvre d'art, mais c'est une possibilité.

Viktor Horsting. Nous utilisons la mode comme moyen d'expression. Ce n'est pas une question de tendances pour nous, mais de refléter comment nous nous sentons, à un instant T.

Rolf Snoeren. C'est peut-être ce qui nous distingue des autres designers. Nos émotions intérieures nous intéressent davantage qu'une certaine idée du style.

Selon certain·es, la mode n'a pas sa place dans les musées. Les vêtements seraient faits pour être portés, et non pour prendre la poussière dans un musée. Que pensez-vous de cette idée ?

Viktor Horsting. Pour nous, les musées sont des espaces bien plus démocratiques que les défilés, qui sont réservés à une poignée d'heureux élus. C'est un public bien limité ! Dans un musée, n'importe qui, avec un peu temps, peut entrer, voir les pièces…

Rolf Snoeren. Et puis, cela ne nous concerne pas vraiment que de décider ce qui devrait ou ne devrait pas avoir sa place dans un musée ou sur un podium de défilé. Je pense que notre travail peut se trouver aux deux endroits.

L'idée de performance traverse votre travail, de la collection Poupée Russe (1999) à Monsieur (2003). Comment transposer cela dans l'enceinte d'un musée ?

Rolf Snoeren. Nous essayons ! À Munich, c'est une pièce entière qui est consacrée à la collection Poupée Russe. L'hologramme dont on parlait tout à l'heure, c'est là qu'il intervient. C'était assez émouvant, pour nous, de le découvrir pour la première fois. C'était un moment important dans notre carrière. Une idée bizarre, somme toute. Nous n'avions, je me souviens, aucune idée de comment le public allait réagir. Heureusement pour nous, les réactions furent très bonnes ! La collection elle-même est présente dans l'exposition, en format miniature.

Y a-t-il une collection dont vous êtes plus fiers qu'une autre ? Ou est-ce que je commets un impair en vous demandant de choisir entre vous enfants ?

Viktor Horsting. J'étais vraiment heureux après la présentation de Poupée Russe. Toute l'essence de notre travail s'y trouve. Je pense aussi à notre collection de janvier 2023, où nos robes étaient complètement sens dessus dessous. Techniquement, c'était un vrai défi à relever, sur lequel nous avons travaillé pendant de nombreuses années.

Quel est votre état d'esprit avant un défilé ? Avez-vous une idée de la manière dont va être perçu votre travail, ou bien est-ce toujours une immense surprise ?

Viktor Horsting. Nous n'avons absolument aucune idée de la manière dont va être perçu notre travail, avant chaque défilé. C'est toujours une surprise de voir ce qui fonctionne, et ce qui ne fonctionne pas. La Poupée Russe en est un très bon exemple. C'était une idée étranger, rendez-vous compte, de faire un défilé avec un seul et unique mannequin. C'était en outre la seule collection de la semaine de la haute couture avec à peine 9 pièces à montrer. La collection sens dessus dessous aussi, pour les mannequins, c'était un vrai défi d'arriver à marcher sur le podium. Je me souviens m'être demandé si nous n'étions pas allés un peu trop loin cette fois…

Cette adrénaline qui précède un défilé, vous la recherchez ?

Rolf Snoeren. Je crois, oui. Quand vous avez une idée et qu'elle est effrayante, c'est un bon indicateur !

Viktor Horsting. Nous envisageons la haute couture comme une sorte de laboratoire, et nos défilés comme des expériences. Parfois, ces expériences vont peut-être un peu trop loin. Il y a toujours une tension, qui est intéressante.

Quelle est votre relation au doute ?

Rolf Snoeren. Oh, j'adore cette question ! Nous avons tellement de doutes !

Viktor Horsting. Ils peuvent devenir paralysants, mais la plupart du temps, ils nous motivent. C'est notre manière de travailler : toutes nos phrases se terminent par un point d'interrogation. Nous essayons toujours d'emprunter un nouveau chemin, une troisième voie.

Rolf Snoeren. Je dois dire que vieillir nous aide beaucoup. Nous avons moins de temps, et nous avons déjà accompli beaucoup. Essayer de nouvelles choses devient plus facile. prendre des décisions devient plus facile. Mais une chose est sûre : le doute sera toujours là.

Créer à deux, cela doit aussi être une aide immense face au doute.

Viktor Horsting. Tout à fait. Notre amitié est le plus beau des cadeaux. Nous pouvons nous aider.

Rolf Snoeren. Nous essayons de ne pas trop analyser la manière dont nous travaillons en duo, mais c'est vrai que ça ressemble à un mariage. Je ne suis pas marié, donc je ne saurais dire !

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